Dans cette tribune sur le logement abordable en Afrique, Luc GNACADJA Président de GPS-Development livre ses analyses sur la question.
Un faux problème ?
Depuis des décennies, les rapports s’accumulent et les diagnostics se répètent : l’Afrique fait face à un déficit de logements estimé à plus de 56 millions d’unités [1], selon la Banque africaine de développement. D’ici 2040, ce chiffre pourrait doubler si rien n’est fait pour répondre à la croissance démographique et urbaine du continent. À chaque forum, chaque sommet ou document stratégique, la même urgence revient en boucle : il faut mobiliser plus de financements.
Certes, le besoin d’investissements massifs est réel. Mais ce réflexe institutionnel de financement traduit une vision partielle, voire partiale, du problème. Il repose sur l’idée implicite que le déficit de logements vient d’un déficit d’offre “formelle”, et que seule une accélération de la production encadrée par l’État ou les promoteurs privés pourrait combler ce vide. Or, dans de nombreuses villes africaines, l’offre est là… mais elle ne se voit pas, ou plutôt elle n’est pas reconnue.
Et si le vrai défi du logement abordable en Afrique n’était pas d’abord le manque de financements, mais l’incapacité à comprendre, intégrer et accompagner ce que les habitants font déjà pour se loger ?
Et si, au lieu de persister à vouloir produire pour eux, il fallait commencer par reconnaître ce qu’ils produisent eux-mêmes, souvent avec peu de moyens mais beaucoup de résilience ?
Ce que révèle cette tension, c’est un décalage structurel, culturel et politique entre deux visions du logement :
d’un côté, une conception “pensée d’en haut”, pilotée par des institutions, des standards et des produits immobiliers ;
de l’autre, une réalité “vécue d’en bas”, où l’habitat populaire, informel, incrémentiel est la norme, et non l’exception.
Cet article défend une idée simple : le financement ne peut être efficace que s’il part du réel, c’est-à-dire des formes d’habiter déjà présentes dans nos villes. Autrement dit, avant de financer, il faut reconnaître.
[1] Cette estimation de la Banque africaine de développement (2022) inclut principalement le déficit en logements formels, c’est-à-dire ceux répondant à des normes officielles de sécurité, salubrité, surface et stabilité foncière. Elle reste par conséquent en-deçà du déficit réel, qui englobe également les logements existants mais jugés inadéquats (matériaux précaires, surpeuplement, insécurité foncière), les logements à réhabiliter, ainsi que les besoins liés à la croissance démographique future. Le déficit, à la fois quantitatif et qualitatif, est donc bien plus vaste… et difficilement mesurable.
Le financement, un levier certes, mais dans quel système ?
Le discours sur le logement abordable en Afrique repose souvent sur un impératif devenu incantatoire : mobiliser davantage de financements. Les stratégies nationales d’habitat, les partenaires techniques et financiers, les banques de développement et les agences de coopération s’accordent sur la nécessité de combler l’écart financier. Les instruments proposés se multiplient : fonds publics d’habitat, partenariats public-privé (PPP), microfinance, mécanismes de garantie, subventions à la demande ou à l’offre, projets de logements économiques voire sociaux à grande échelle, etc.
Mais dans quel système ces financements s’inscrivent-ils ? Pour financer quoi, pour qui, et selon quels critères de pertinence ou de succès ?
Car si la question du financement est posée, celle du système auquel il s’applique est rarement interrogée. Or, injecter plus de moyens dans un cadre inadapté ne garantit ni l’abordabilité réelle, ni la pertinence sociale des projets.
Des produits immobiliers standardisés, mal arrimés à la demande réelle
Les projets de logements financés dans la plupart des pays africains — souvent sous l’étiquette de « logement social » — reposent sur une conception formelle, neuve, standardisée et centralisée de l’offre. Ils sont majoritairement destinés à une classe moyenne formelle, bancarisée, salariée, disposant d’un revenu régulier et déclarable. Cela exclut de facto une grande partie des citadins, dont les revenus sont informels, irréguliers, ou partagés entre plusieurs membres d’un ménage élargi.
Résultat : de nombreux logements dits “sociaux” sont invendus, sous-occupés, ou vite revendus sur le marché secondaire, car leur prix, leur localisation ou leur typologie ne correspondent ni aux capacités réelles ni aux préférences des populations cibles.
Par exemple, au Cameroun, au Sénégal ou en Côte d’Ivoire, des programmes publics ont abouti à la livraison de milliers de logements… que les ménages populaires n’ont pu acheter. Certains ont été revendus à des investisseurs ou sont restés vacants pendant des années, faute de demande solvable.
Des financements qui ignorent la ville déjà construite
Ces logiques de financement privilégient la production neuve, souvent en périphérie, au détriment de la ville existante. Or c’est dans cette ville, déjà largement autoconstruite, que vit la majorité de la population urbaine africaine. Peu d’outils de financement sont orientés vers :
la réhabilitation des quartiers informels existants qui ont accueilli la majorité de la croissance de l’habitat urbain, entre 1990 et 2015, selon le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OECD),
la sécurisation foncière progressive,
ou l’amélioration des logements autoconstruits.
Financer le logement abordable ne devrait pas signifier financer seulement des produits immobiliers prêts-à-habiter, mais aussi les trajectoires d’habitat déjà en cours, que l’on peut appuyer, renforcer, structurer tout en préservant les tissus culturels et économiques existants.
Plus de financement, oui – mais pour changer quoi ?
Il ne s’agit pas de nier l’importance des ressources financières, mais de rappeler qu’elles ne peuvent être une fin en soi. Le financement ne devrait pas servir à reproduire les logiques qui ont échoué, mais à impulser une transformation des systèmes socioéconomiques en place. Tant qu’il ne sera pas arrimé à une vision inclusive de la ville réelle, il continuera à consolider l’exclusion qu’il prétend corriger.
Ce que l’on ne veut pas voir : la fabrique urbaine informelle
Dans les villes africaines, l’informel est la norme, non l’exception. Pourtant, il continue d’être désigné à travers un vocabulaire de disqualification, voire de stigmatisation : “bidonvilles”, “zones non planifiées”, “quartiers précaires”, “implantations illégales”. Ces mots cachent des millions de citadins qui se sont logés eux-mêmes, sur des terrains souvent non viabilisés, en marge des procédures officielles, mais avec ingéniosité, ténacité et sens de la communauté ; ils mériteraient d’être reconnus.
Cette fabrique urbaine populaire est la colonne vertébrale invisible de nos villes : elle les loge, les densifie, les anime, crée des emplois le plus souvent dans le cadre d’une économie tout aussi informelle. Et pourtant, elle demeure hors champ des politiques publiques du logement, comme si elle ne comptait pas, ou pire, comme si elle ne devait pas exister. La ville se construit sans autorisation, mais pas sans intelligence ; « Désordre apparent, ordre caché », dirait Émile Aillaud.
Dans des métropoles comme Abidjan, Cotonou ou Kinshasa, les quartiers comme Yopougon, Agla ou Ngaba ne sont pas nés de plans d’aménagement, mais de dynamiques d’occupation foncière progressive, souvent informelles mais collectives, encadrées par des chefs de quartiers, des associations, des solidarités familiales ou religieuses.
Ces quartiers fonctionnent avec leur propre logique :
division foncière par découpage social, et non par lotissement administratif ;
autoconstruction modulaire, selon les capacités financières successives ;
services de base bricolés, souvent communautaires ou autogérés.À Pikine, en banlieue de Dakar, ce sont les habitants qui ont structuré les voies, organisé l’assainissement, et négocié progressivement leur régularisation.
À Douala, des quartiers comme Bonabéri ou Ndogbong ont été construits sans plan d’urbanisme formel, mais sont aujourd’hui pleinement intégrés au tissu urbain et à l’économie locale.
Cela ne signifie pas que ces quartiers sont exempts de difficultés. Ils concentrent aussi des fragilités sociales, des tensions foncières, des vulnérabilités environnementales et des inégalités internes. La précarité y est réelle, et parfois extrême. Mais cette réalité ne doit pas faire écran à une autre : celle d’une capacité concrète des habitants à bâtir leur cadre de vie, avec leurs propres logiques, savoir-faire et solidarités.
Ce n’est pas un échec du système : c’est le système lui-même
Autrement dit, il ne s’agit pas de romantiser l’informel, mais de reconnaître qu’il constitue la trame vivante de l’urbanisation en Afrique, comme cela a été — et demeure parfois — le cas dans d’autres régions du monde. Il ne s’agit pas non plus de romantiser la précarité, mais de reconnaître la capacité des citadins à produire eux-mêmes un cadre de vie fonctionnel, habité, perfectible. C’est une richesse invisible, une urbanité populaire qui mérite d’être comprise, soutenue, accompagnée, et non systématiquement détruite, « déguerpie » ou ignorée. Là où l’État tarde à intervenir et où les marchés formels restent inaccessibles ou inadaptés, les habitants improvisent, innovent, construisent. Leurs solutions sont souvent incomplètes ou précaires, mais elles sont ancrées, évolutives et profondément humaines. Ignorer cette fabrique urbaine populaire, c’est se priver d’un levier essentiel pour penser et faire la ville autrement. C’est aussi nier la complexité de quartiers qui, malgré leurs irrégularités administratives, fonctionnent selon des logiques internes robustes.

On présente souvent l’informel comme ce qui reste à corriger, à formaliser, à “intégrer”. Mais en réalité, c’est l’informel qui porte la charge de l’urbanisation du continent, pendant que les politiques publiques planifient lentement ou restent focalisées sur une minorité solvable.
Reconnaître l’informel : un acte politique et éthique
Ignorer cette réalité n’est pas neutre. C’est un choix politique qui a des conséquences:
cela prive des millions de personnes du droit à l’habiter reconnu,
cela alimente la spéculation foncière et l’exclusion spatiale,
cela oriente les financements vers des zones où la population ne vit pas encore, au lieu d’améliorer celles où elle vit déjà.
Reconnaître la ville réelle, c’est accepter de voir le génie urbain africain à l’œuvre, souvent en dehors des cadres institués. C’est aussi poser les bases d’une approche plus équitable du développement urbain, capable d’appuyer ce qui fonctionne déjà, au lieu de le remplacer à coups de bulldozers et de crédits bancaires inaccessibles.
Changer de regard : habiter est un acte politique
Derrière chaque mur en parpaing posé sans permis, chaque pièce ajoutée à une maison en tôle, chaque ruelle tracée par les pas des habitants avant d’être bétonnée par la communauté, il y a un acte d’habiter qui engage le politique. Car habiter, ce n’est pas seulement occuper un espace : c’est revendiquer une place dans la ville, c’est participer à sa fabrique, à sa densité, à sa mémoire, à ses usages.
Pourtant, les politiques de logement abordable sont souvent construites comme des politiques d’équipement, techniques et normatives, fondées sur des référentiels qui ignorent la diversité des pratiques d’habiter. L’abordabilité y est ramenée à une équation comptable : prix d’acquisition / revenu disponible. Or cette équation ne dit rien de la sécurité foncière, de l’accès aux réseaux et services, de la proximité des opportunités économiques, ni du sentiment de légitimité dans la ville.
Abordable sur le papier, inaccessible dans les faits
De nombreux projets dits “abordables” s’avèrent socialement inaccessibles :
trop cher pour les revenus informels,
trop loin des lieux de travail ou d’école,
inadaptés aux structures familiales réelles (ménages étendus, plurigénérationnels),
déconnectés des réseaux de solidarité, des pratiques culturelles et de la vie communautaire.
Ils deviennent ainsi des objets immobiliers standardisés, que l’on peut mesurer, vendre, financer… mais qui n’ont pas de sens pour ceux qui devraient y vivre.
Le paradoxe est là : des logements produits sans habitants, et des habitants sans logements reconnus.
Vers une nouvelle conception de l’abordabilité
L’abordabilité ne peut plus être réduite à un simple seuil de revenu ou à un taux d’effort financier. Elle doit être repensée à partir de critères multidimensionnels, ancrés dans les réalités sociales, culturelles et spatiales des territoires :
Abordabilité foncière : sécuriser l’accès au sol, même de manière progressive, à travers des titres évolutifs, des reconnaissances coutumières ou des permis d’habiter.
Abordabilité culturelle : respecter les pratiques locales d’habitat, les usages différenciés de l’espace, les structures familiales élargies ou intergénérationnelles.
Abordabilité spatiale : garantir la proximité des services de base, des réseaux de transport, et des opportunités économiques ou sociales.
Abordabilité évolutive : permettre aux logements de s’adapter dans le temps à l’évolution des besoins, grâce à une conception ouverte, modulaire et incrémentielle.
Réinventer l’abordabilité, c’est aussi changer de regard sur les habitants : ne plus les considérer comme des bénéficiaires passifs de politiques décidées d’en haut, mais comme des acteurs compétents, dotés d’une capacité avérée d’adaptation, de co-conception et construction de leur cadre de vie.
Pour une densification endogène, inclusive et contextualisée
Cette reconfiguration appelle, dans de nombreux contextes, à interroger les tensions entre l’ancrage communautaire — qui structure nombre de quartiers populaires — et l’aspiration légitime à une sécurisation individuelle du sol. Car cette quête de propriété privée exclusive peut, à terme, freiner des formes de densification ou d’usages partagés pourtant nécessaires à une urbanisation plus équitable, plus performante et plus durable.
Reconnaître les pratiques d’habiter ne signifie pas les figer : cela suppose d’ouvrir un dialogue renouvelé sur les formes de vivre-ensemble et de cohabitation territoriale — dialogue dont pourraient émerger des dynamiques endogènes de densification par le bas.
Ce type de densification se distingue par son origine locale : des habitants qui réorganisent eux-mêmes l’espace de leur quartier, souvent hors cadre institutionnel, à travers l’autoconstruction, la mutualisation des usages ou l’auto-organisation collective, plutôt que par injonction externe ou promotion immobilière exogène.
Un exemple emblématique est le programme dit « Reblocking » mené au Cap, en Afrique du Sud. Dans le quartier de Mtshini Wam, les habitants, accompagnés par « Slum Dwellers International (SDI) » et son partenaire local « Community Organisation Resource Centre (CORC) », dans le cadre d’un dialogue avec la municipalité, ont redéployé leurs abris en clusters pour optimiser l’espace, créer des voies d’accès, améliorer la sécurité et insérer des équipements partagés, tout en conservant leur droit d’usage du sol. Cette initiative a été ensuite reconnue comme politique officielle de la ville, démontrant la pertinence et la faisabilité d’une densification co-produite à partir de la ville réelle.
Ce que finance le regard juste
Ce que l’on finance dépend de ce que l’on choisit de voir. Si l’on considère l’informel comme un problème, on financera sa destruction. Si on le voit comme une ressource sociale, territoriale et économique, alors on financera sa transformation, son amélioration, sa consolidation.
Changer de regard, c’est reconnaître que l’habitat populaire n’est pas un résidu urbain mais le socle même de la ville africaine contemporaine. Et c’est seulement sur ce socle que l’on peut construire des politiques publiques durables, justes et réellement abordables.
Pour un pacte urbain refondé avec les bâtisseurs de l’informel
Si l’on admet que la majorité des logements en Afrique sont produits en dehors du secteur formel, alors la question n’est plus seulement : comment produire plus ? Mais comment améliorer, sécuriser et soutenir ce qui existe déjà. Cela implique une refondation du pacte urbain, non plus entre l’État et les promoteurs, mais entre la ville institutionnelle et les habitants-bâtisseurs de l’informel.
Ce pacte suppose de dépasser les modèles figés d’habitat planifié d’en haut pour faire place à des formes coconstruites, contextuelles, évolutives, enracinées dans les réalités sociales, économiques et spatiales des territoires.
- Repenser la notion de logement abordable à partir des trajectoires résidentielles populaires
Au lieu d’importer des standards venus d’ailleurs, il faut partir de la manière dont les citadins africains accèdent réellement au logement : progressivement, avec des moyens limités, souvent collectivement. C’est ce que l’on observe dans :
les lotissements spontanés, où les ménages construisent pièce par pièce,
les habitats interstitiels, insérés dans le tissu urbain ancien,
les habitats familiaux partagés, adaptés aux économies de survie.
Ces trajectoires doivent être documentées, reconnues et intégrées dans les politiques publiques. Il ne s’agit pas d’institutionnaliser la précarité, mais de construire à partir du réel, et non à côté. - Financer la transformation de l’existant
La majorité des instruments actuels visent la production neuve. Il faut les réorienter pour :
appuyer l’amélioration de l’habitat existant (assainissement, ventilation, structure),
investir dans les infrastructures de base dans les quartiers populaires (voirie, drainage, éclairage.
sécuriser l’accès au foncier, même par des statuts progressifs (reconnaissance coutumière, permis d’habiter, titres collectifs).
À Agadir ou Casablanca, le programme « Villes sans bidonvilles » a permis, dans certains cas, une réhabilitation in situ avec relogement sur site, appuyée par la mobilisation des communautés.
Des initiatives comme « Villes sans bidonvilles » au Maroc ou « Reblocking » en Afrique du Sud offrent des repères concrets pour le financement d’un agenda urbain africain renouvelé, fondé sur l’adaptation contextuelle plutôt que sur la reproduction de modèles exogènes. - Mettre les habitants au cœur des processus décisionnels et d’investissement
Il ne peut y avoir d’abordabilité sans gouvernance partagée. Cela signifie :
concevoir les projets avec les communautés concernées dès le départ,
créer des cadres de participation réels, dotés de pouvoir de décision et de suivi,
reconnaître la valeur du savoir profane et des pratiques de l’ordinaire urbain.
Le modèle thaïlandais du Community Organizations Development Institute (CODI), qui accorde des prêts collectifs à des groupes d’habitants pour l’amélioration de leur quartier, tout en les accompagnant dans l’ingénierie et la gouvernance, est une référence mondiale en la matière.
Un tel modèle reste à construire dans l’espace francophone africain, mais les bases existent déjà dans de nombreuses initiatives communautaires locales.
Changer le pacte, c’est changer d’alliés
L’enjeu n’est pas seulement technique ou financier. Il est d’abord politique : il s’agit de changer d’alliés dans la fabrique de la ville, en reconnaissant les habitants comme des partenaires et non comme de simples « usagers » voire des obstacles. Ce n’est qu’à cette condition que les politiques de logement abordable auront un impact réel, durable et équitable.
Et si reconnaître valait mieux que financer sans voir ?
L’urgence du logement abordable en Afrique ne fait aucun doute. Mais ce qui devrait davantage interroger, c’est la manière dont cette urgence est traitée. Tant que les politiques continueront de poser le problème uniquement en termes de déficit quantitatif et de mobilisation de financements, elles éluderont le fait fondamental que les habitants, eux, n’ont pas attendu : ils bâtissent déjà la ville, par et pour eux-mêmes, en dehors des schémas dominants.
Ce qui manque, ce n’est pas d’abord l’argent, mais le regard juste. Le regard qui reconnaît la valeur des pratiques populaires d’habiter, qui voit dans l’informel une urbanité vivante et non une anomalie. L’abordabilité ne se décrète pas depuis des normes figées ; elle se construit au croisement des réalités sociales, culturelles, économiques et territoriales spécifiques. Et cela exige un renversement du regard, des méthodes, et des alliances.
Un appel aux acteurs africains en responsabilité : changer de paradigme, bâtir un nouveau pacte
Il est temps pour les décideurs publics, collectivités locales, bailleurs, urbanistes, architectes, centres de formation, organisations citoyennes et institutions régionales de changer de paradigme.
Cela suppose :
de remettre les habitants au cœur des politiques du logement, non comme bénéficiaires, mais comme bâtisseurs ;
de considérer les quartiers populaires comme des territoires de solutions, non des poches de déficit ;
de réorienter les financements vers la transformation de l’existant plutôt que vers des modèles exogènes ;
de promouvoir une nouvelle génération d’urbanistes, d’architectes et de décideurs formés à voir, écouter et accompagner, et non à imposer ou déloger.
L’Afrique peut faire le choix d’un pacte nouveau : un pacte de reconnaissance, de coproduction et d’amélioration partagée, fondé sur la ville réelle et ceux qui la construisent au quotidien.
Reconnaître pour mieux agir. Accompagner plutôt que remplacer. Passer d’un logement prescrit à un habitat coconstruit : c’est là que peut s’opérer le vrai basculement. Car au fond, ce n’est pas le manque de financements qui freine l’ambition, mais bien ce que l’on choisit de financer, et ce que l’on refuse encore de voir.
Luc GNACADJA
Président de GPS-Development
Ancien Ministre de l’environnement et du développement urbain (Bénin),
Ancien Secrétaire exécutif de la UNCCD