(Lionel Zinsou invite à financer autrement le développement)
Engagée dans l’essor des économies de l’UEMOA, la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) a organisé la première édition des BOAD Development Days les 12 et 13 juin 2025 à Lomé sous le thème « Financement de la transition énergétique et de l’agriculture durable : défis, opportunités et solutions. Occasion pour près de 200 décideurs et acteurs venus des quatre coins du monde d’échanger sur de profondes résolutions pour booster le financement de développement des Etats notamment dans les secteurs de l’agriculture et de l’énergie.
Abdul Wahab ADO
La BOAD s’engage résolument pour le financement des économies de l’Union économique et monétaire Ouest africaine (UEMOA). C’est dans cette dynamique qu’elle a organisé la première édition des BOAD Development Days centrée sur le financement des secteurs clés notamment l’énergie et l’agriculture. En effet, pendant deux jours d’échanges, les experts et acteurs du développement venus des quatre coins du monde ont mené des réflexions sur le thème : « Financement de la transition énergétique et de l’agriculture durable : défis, opportunités et solutions ». Les échanges ont ressorti les défis de l’accès universel à l’électricité, la transition énergétique dans l’UEMOA et l’importance de l’agro-industrie pour la souveraineté alimentaire.
Les « BOAD Development Days », catalyseurs de financements innovants

Dans son mot de bienvenue au lancement, Serge Ekué, président de la BOAD a confié : « Nous nous trouvons à un carrefour stratégique de l’histoire de notre monde ». Il a ajouté que la transition énergétique et l’agriculture durable constituent les deux piliers indissociables pour une stratégie de développement adapté, inclusif et responsable. Tout en relevant les défis importants et enjeux, qui sont énormes, le patron de la BOAD a précisé : « Nous travaillons à renforcer notre appui à une agriculture basée sur les piliers écologiques, social et économique du développement durable, porteuse de réponses concrètes ».
Présent à ce rendez-vous de haut niveau, le ministre togolais de l’Économie et des Finances, Essowè Georges Barcola, a salué d’abord l’engagement constant de la BOAD à accompagner les États membres dans leurs stratégies de développement.
Ensuite le ministre, a évoqué les enjeux de l’Union. Pour lui, « Les défis auxquels nous sommes confrontés sont nombreux : les chocs externes, les défis climatiques, la crise sécuritaire, la sécurité alimentaire, l’accès à l’énergie, l’industrialisation, et la création d’emplois décents pour une jeunesse de plus en plus nombreuse. Pour y faire face, il nous faut innover, collaborer et mutualiser nos efforts. C’est précisément l’objectif de ces journées : créer un espace de dialogue constructif entre les gouvernements, le secteur privé, la société civile et les partenaires au développement ».
L’agriculture durable et la transition énergétique, des priorités
La première édition des BOAD Development Days de la BOAD a permis de poser des actes concrets pour financer le développement. L’ambition est de redéfinir les règles du financement du développement en Afrique de l’Ouest. Le président de la BOAD a indiqué les lignes à suivre pour booster le financement des économies de l’Union. Sa vision, est de faire de la BOAD un « orchestrateur systémique » du développement régional, capable de mobiliser à grande échelle, d’innover à contre-cycle et de répondre aux défis climatiques avec des produits adaptés aux réalités africaines. « Nous voulons faire de la BOAD un orchestrateur systémique du développement régional, capable de mobiliser massivement les ressources nécessaires aux priorités des États de l’UEMOA », a déclaré le président de l’institution basée à Lomé.
L’invite de Lionel Zinsou pour financer autrement le développement

Parmi les invités de marque aux BOAD Development Days, figure l’ancien Premier ministre du Bénin, Lionel Zinsou. L’économiste et banquier a fait une analyse lucide sur les transformations nécessaires du financement du développement. Dans son intervention, il a fait savoir que l’Afrique de l’Ouest ne capte que 2% à 3% de la finance climat mondiale. « Nous devons inventer nos propres outils », plaide-t-il. « Il nous faut sortir des sentiers battus pour imaginer et concevoir des solutions nouvelles », insiste le Président de la BOAD. « Est-ce qu’on est légitime à réfléchir ensemble au financement du développement ? », interroge d’entrée Lionel Zinsou. Pour le banquier d’affaires, la réponse est désormais évidente : oui.
Grâce aux efforts conjoints des États, des institutions comme la BOAD, du secteur financier et des acteurs de la production, l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) a la légitimité pour penser son développement de façon créative.
Pour le speaker, l’UEMOA affiche l’une des croissances les plus fortes au monde. « On est même en fait sur le plan mondial, l’une des rares zones très résilientes. Nous avons été pendant la période du Covid-19, l’une des seules zones au monde à ne pas être en récession », a-t-il rappelé.
Lionel Zinsou a évoqué les limites du système financier sous régional qu’il qualifie des « pathologies » qui freinent le développement. L’économiste fait part d’un excès de dépôts non transformés en financement productif. « Nous avons en Afrique subsaharienne, un système financier qui réussit à collecter beaucoup plus de dépôts qu’il ne fait de crédits. Ce qu’un système financier est normalement en charge de délivrer, c’est de la transformation où on prend des ressources d’épargne et on les multiplie et on essaye d’en faire des moyens de financement moyen terme. Vous ne pouvez pas avoir un des systèmes bancaires les plus liquides et riches en ressources en réalité très stables et les transformer en crédit court terme », a relevé Lionel Zinsou. L’ancien Premier du Bénin a aussi noté une faible orientation du crédit vers le secteur privé, qui ne capte que 11 % du PIB ; une concentration excessive sur les entreprises publiques au détriment des entreprises et de l’agriculture, de l’énergie et du logement.
Pour Zinsou, il ne suffit pas de corriger les défaillances. Il faut aussi redéfinir les priorités. Il a insisté notamment sur l’importance de diriger les ressources vers l’agriculture durable et l’énergie, deux piliers selon lui intimement liés et stratégiques pour la création de l’emploi. Dans une économie moderne, soutient-il, le plus grand consommateur d’énergie, c’est l’agriculture.
Lionel Zinsou a plaidé également pour un meilleur financement des ménages, notamment dans le logement, encore largement sous-financé, malgré une demande forte liée à la croissance démographique.
Le banquier d’affaires salue les efforts pionniers de la BOAD, qui amorce une nouvelle dynamique de financement, mais souligne que le changement ne pourra réussir qu’avec l’implication de l’ensemble du système financier africain, du secteur public comme du privé. « On va financer autrement et on va le faire avec les acteurs qui veulent le faire », a déclaré l’ancien Premier ministre béninois.
La BOAD, accélérateur de développement de l’Uemoa

Au nombre des présentations des experts, se trouve celle de Ambroise Kafando, Directeur de la stratégie et des Études à la BOAD. Il a exposé le mécanisme de quelques financements et des projets financés dont la réalisation des routes rurales, facilitant l’accès aux marchés pour les producteurs et réduisant l’isolement économique des zones enclavées. « Il faut accepter d’inventer, de tester de nouveaux outils, parfois audacieux, mais toujours adaptés à notre réalité ». En quatre ans, la BOAD a injecté 3300 milliards FCFA dans les économies de l’Union, et même 4510 milliards si l’on inclut les ressources mobilisées auprès de partenaires extérieurs soit 137% de son objectif initial.
Amadou Mbodj, directeur de l’Agriculture à la Commission de l’UEMOA, rappelle que l’espace communautaire a enregistré une hausse de 45 % de sa production vivrière sur la dernière décennie, soit 19 millions de tonnes supplémentaires (source SIAR UEMOA). Mais cette dynamique reste insuffisante face aux importations alimentaires massives. « Chaque année, nous importons pour 3.000 milliards de FCFA d’aliments – riz, blé, lait, viande…, avec une dépendance de 50 % pour le riz et 80 % pour le blé. Seuls le Bénin et le Niger inversent timidement la tendance », précise-t-il.
Pour le Dr Sèmadégbé Oscar Teka, professeur à l’Université d’Abomey-Calavi, le problème ne se limite pas aux statistiques. « Accès au foncier, financement déficient, qualité des intrants, lenteur de la transition vers une agriculture climato-intelligente : le terrain est miné », résume-t-il. De son côté, le Dr Issoufou Baoua, coordonnateur régional du programme d’appui à la sécurité alimentaire du Comité Permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS), souligne un paradoxe : « Nous produisons déjà 70 millions de tonnes de céréales par an. Et selon les projections, les dix prochaines années seront plutôt favorables sur le plan climatique. Mais sommes-nous prêts ? »
Autrement dit : comment transformer ce potentiel en réalité ? Les réponses convergent vers l’accès aux intrants de qualité, la transformation locale, le stockage et la logistique. Abordant le débat, Bernard Comoé, haut responsable au ministère de l’Agriculture de Côte d’Ivoire, plaide pour une approche systémique et une intégration verticale des chaînes agricoles.
Pour limiter les aléas climatiques, Zeynab Cissé, de l’ARC Ltd, a mis un accent sur l’assurance paramétrique, une solution innovante portée par la BOAD, le PAM et le FIDA, entre autres, pour sécuriser les petites exploitations. Quant à Adama Mariko, Directeur adjoint pour la mobilisation, les partenariats et la communication du Groupe Agence française de développement (AFD), il a insisté, sur le nerf de la guerre : « Moins de 1 % des financements bancaires sont orientés vers l’agriculture. Notre coalition « La finance en commun » regroupant plus de 150 banques publiques peut et doit inverser cette tendance ». Le ministre nigérien de l’Agriculture et de l’Élevage, le Colonel Mahaman Elhadj Ousmane, appelle à rompre avec une certaine naïveté stratégique : « L’agriculture est un investissement à cycle long. Or, à vouloir en confier le financement à des partenaires extérieurs….; il nous faut bâtir nos propres mécanismes de garantie pour atténuer les risques ». Noter que c’est sur une note de satisfaction tant du président de la BOAD que des participants que les assises ont été bouclées.