« Les personnes âgées, un marché méconnu »
Après une première édition qui a suscité intérêts et engagements de divers acteurs, le Salon des Séniors, initiative portée par L’économiste du Bénin, prend date du 07 au 09 novembre 2024, pour sa 2ème édition. En prélude à ce rendez-vous, Edgard Guidibi, Expert conseil et Formateur senior en management, leadership, marketing et communication s’est prêté à quelques questions de L’économiste sur les opportunités économiques liées aux personnes âgées. Contrairement à la perception populaire, selon lui, les personnes âgées représentent un marché mal exploré, tant au niveau des services adaptés que des produits spécifiques. Lisez plutôt.
Après la toute 1ère édition en 2023, L’économiste du Bénin organise du 07 au 09 novembre 2024, la 2ème édition du Salon des seniors. Une initiative que vous soutenez d’ailleurs. En quoi cet évènement répond-t-il aux besoins spécifiques des retraités et futurs retraités au Bénin, tant du public que du privé ?
Je crois que la vie est une affaire de cycle, il y a un temps pour chaque chose, un temps pour se préparer, pour rentrer en jeu, pour jouer et puis pour se retirer afin de faire d’autres choses, et, il ne faut pas se mentir, de quitter ce monde. Nous n’avons pas vocation à rester ici éternellement. Et c’est quelque chose qui est inévitable pour tout le monde. Le sage se prépare et voit venir les choses. Il y a des choses qu’on peut très bien réussir quand on a pris la peine de s’y préparer mais qui peuvent être, malheureusement, fatales quand ce n’est pas préparé. La vérité c’est que dans notre pays, on n’y pense pas beaucoup, moi y compris, on ne se prépare pas beaucoup à la retraite. Encore ceux qui sont dans le système public, donc les fonctionnaires ont la chance que l’Etat les y oblige. Mais tous ceux qui sont entrepreneurs, aujourd’hui c’est la majorité des gens, tous ceux qui parfois sont dans le privé, dans certaines organisations, n’ont pas cette obligation légale de se préparer minimalement à la retraite. On le vit comme une chance quand on n’est pas obligé de payer des cotisations entre autres par exemple tous les jours, mais rapidement cela peut devenir un problème un jour. Je connais des gens qui ont travaillé à la présidence pendant 30 ans comme par exemple personnel de sécurité dans l’armée, et qui au jour de leur retraite n’avait pas de maison, et qui devaient continuer de payer le loyer. Et puis beaucoup d’autres problèmes comme çà. J’ai été dans l’immobilier, c’est vrai que ça va faire bientôt 10 ans que j’ai quitté l’immobilier, mais j’ai vu beaucoup de gens qui, à la veille de leur retraite, n’avaient pas de maison, n’avaient pas de terrain. Or quand vous n’avez plus de sources de revenus réguliers, vous n’êtes plus en activité, vous n’avez plus l’énergie de courir à gauche à droite et de vous chercher comme on dit, il y a des choses qui ne sont pas simples. A cela va s’ajouter des problèmes naturellement du corps qui commence à prendre de l’âge, donc à être moins performant, donc des défis de santé, les enfants qui ne sont plus toujours là. Cela a des avantages financiers, des avantages en termes de coût. Bref, la période de la vie (55 ans ou 60 ans) à partir de laquelle un fonctionnaire ira la retraite où toute personne dans tous les cas doit revoir comment sa vie fonctionne, est une période délicate qui est une grâce de la vie. Tout le monde n’atteint pas cet âge mais qui peut être un défi et peut devenir une fatalité si on ne s’y est pas préparé.
Je crois que cet évènement initié à juste titre par L’économiste nous offre l’occasion, une fois par année, d’en parler, de se sensibiliser, d’attirer l’attention de ceux qui en sont proches, d’attirer l’attention de ceux qui sont au début de leur carrière quel que soit le secteur d’activité public ou privé dans lequel ils sont. Que ce soit pour les gens qui sont dans le monde agricole et même pour tout le monde, c’est un défi de vivre en sachant que c’est un moment où si Dieu fait grâce, on arrivera tous, et il faut s’y préparer. C’est donc un évènement où on en discute, où on comprend les enjeux, où on a des interventions de personnes qui s’y connaissent sous différents aspects à la question de la santé, de la nutrition, etc. Il y a des gens qui, à cet âge, ne s’étant pas bien préparés, ont besoin de lancer des entreprises pour subvenir à leurs besoins. Comment on le fait, comment vous arrivez à obtenir un financement quand par exemple vous êtes déjà retraité ? Quand vous êtes jeune, on considère que vous avez le temps devant vous, mais quand vous êtes retraité, vous avez besoin d’argent. Qui vous fait un prêt en se disant que vous êtes dans la phase descendante. Il y a pas mal de choses que cela implique, dont on ne parle pas assez. Il y a aussi de plus en plus des technologies adaptées à ces personnes-là, des soins de santé spécifiques, des services spécifiques. Certaines personnes deviennent faibles, certaines deviennent malades, ne sont pas toujours capables de se prendre en charge eux-mêmes, ailleurs, il y a des maisons de retraite. Par ici, même si je ne suis pas pour les maisons de retraite, il y a des services qui doivent aller avec, et qui sont soit embryonnaires soit inexistants. Je pense donc que ce rendez-vous annuel est une très bonne occasion de discuter de ce problème et d’apporter, ensemble, nos contributions pour que la question soit mieux connue, mieux anticipée, mieux gérée, et donc mieux vécue par tous ceux qui auront à y faire face.
Quel rôle le Salon des seniors peut-il jouer dans la prise en charge des retraités au Bénin ?
Je ne pense pas qu’il relève de L’économiste ou de quelqu’un en privé de prendre en charge les personnes âgées. C’est une vocation d’abord principalement de l’Etat. Ensuite l’activité que nous faisons avec L’économiste peut servir à attirer l’attention des pouvoirs publics sur la question et faire un peu du lobbying et de plaidoyers pour que cela soit bien fait. Tant l’Etat ne pas tout faire, il y a toujours des choses que les privés peuvent faire. Il y a des initiatives privées, même des activités commerciales privées, parce que souvent, le secteur commercial ne travaille que pour les gens qui sont dans la fleur de l’âge. Mais, il y a un marché aussi pour les personnes âgées avec des besoins spécifiques, une restauration spécifique, des activités de loisirs spécifiques, et je pense, avec des activités de santé spécifiques. Par ignorance, c’est un marché qui n’est pas encore connu et considéré dans ses spécificités. J’espère que cette activité avec L’économiste, va permettre que tous les types d’acteurs qui pourraient interférer avec le marché des personnes âgées en soient conscients pour concevoir des offres de produits et services adaptés à cela pour qu’à côté de l’Etat qui a la responsabilité et le pouvoir de faire l’essentiel, tous ceux qui peuvent apporter une contribution puissent le faire et pourquoi pas profiter de ce marché des personnes âgées comme opportunité économique puis se positionner là-dessus. Il s’agira surtout de communiquer, d’attirer l’attention des gens et d’espérer que l’Etat comme les privés, chacun prenne sa part et la joue.
Les partenaires et sponsors jouent un rôle clé dans l’organisation d’événements de cette envergure. Quel message avez-vous à leur endroit ?
Quand on parle des personnes âgées, on est tenté de penser qu’il s’agit de faire du social. Mais non ! C’est vraiment de l’ignorance que d’imaginer là qu’il y a un enjeu social. C’est un enjeu social parce qu’ils font partie de la société, mais c’est un enjeu économique. Quand les gens sont jeunes, ils n’ont pas encore beaucoup d’expérience, ils se cherchent pour gagner de l’argent. Quand ils ont de l’argent, ils veulent construire leur famille, construire leur maison, se réaliser, payer les études de leurs enfants, et donc les personnes les plus jeunes sont nombreuses dans la pyramide démographique de nos pays. Mais, ce n’est pas forcément ceux qui ont le plus de moyens. Quand vous voyez, dans le rang des personnes âgées, évidemment, il y a de tout : les moins fortunés, les plus fortunés, mais il y a quand-même beaucoup de personnes très fortunées qui ont eu de grandes carrières, mais qui sont maintenant à la retraite et ont des problèmes de santé ou qui s’ennuient parce que leurs enfants sont à l’extérieur. Parfois ils sont en couple, parfois ils sont veufs ou veuves dans une grande maison, ayant leur voiture, n’ayant pas de problèmes de moyens, mais font face à la solitude. Ils ont parfois des problèmes de santé, d’alimentation, de services, par exemple des gens pour rester avec eux, les aider à faire leurs courses ; ils ont des défis technologiques parce que dépassés par la technologie ils n’arrivent pas à en profiter alors que si des gens prennent la peine de concevoir des technologies pour eux ou de les aider à apprendre à utiliser les technologies, il y a tout une opportunité.
Moi je considère que les personnes âgées sont un marché méconnu, qui est un grand marché avec dedans, des personnes qui parfois, ont largement les moyens, prêtes à les dépenser pour satisfaire leurs besoins mais n’ont pas en face des fournisseurs qui ont créé des offres adaptées à eux.
Donc le sponsor qui vient dans une telle activité ne vient pas juste parce qu’il a pitié des personnes âgées ou encore moins de L’économiste. Je crois qu’il vient parce qu’il a intérêt à savoir qu’à travers cette activité, L’économiste l’invite à faire attention à un marché méconnu mais qui est un gros marché méconnu. Vous avez tout, des anciens ministres, des anciens patrons d’entreprises, des anciens diplomates, des anciens fonctionnaires internationaux, etc. C’est vrai qu’il y a le petit fonctionnaire qui est dans sa retraite, c’est vrai qu’il y a l’entrepreneur qui va à la retraite sans avoir de gros moyens aussi, comme il y a ceux qui sont fortunés aussi. Je crois que le sponsor qui vient, vient déjà se frotter à cette réalité, rencontrer les autres acteurs de ce secteur, trouver pourquoi pas des partenaires, des clients, des fournisseurs avec lesquels il peut faire des choses et puis se donner de la visibilité sur un marché où il y a beaucoup d’acteurs et où aussi, il y a des personnes indirectes. Par exemple, quand vous prenez une personne âgée, ses enfants sont aussi une clientèle potentielle. Quand vous proposez un service à une personne âgée de 90 ans, vous allez avoir comme véritable clients, ses enfants qui sont dans la fleur de l’âge qui veulent par exemple qu’on fasse des provisions chaque semaine à leur parent ou qu’on vienne leur faire à manger, qu’on vienne les servir, qu’on vienne les prendre pour les emmener au soin, etc. Donc, il y a un énorme marché qui n’est pas encore connu.
A cet âge-là, on a des biens, on doit préparer son héritage, on doit structurer la succession, qu’est-ce qu’on fait de l’entreprise qu’on a bâti, bientôt, on ne sera plus là, est-ce qu’elle va être démantelée, comment on gère le transfert de patrimoine, il y a énormément de défis. Mais nous sommes ignorants de beaucoup de chose. On attend et les gens meurent, on gaspille de l’argent pour les enterrer, on distribue le patrimoine qu’ils ont, et tout s’arrête. Alors que quelqu’un qui a fait cet âge, il a des contrats, il a des agréments, il a des choses qui valent plus que ces biens. Chez nous, vous allez voir que quand un promoteur d’entreprise meurt, l’entreprise meurt. Ce n’est pas normal. C’est parce que les professionnels : notaires, huissiers, et d’autres experts en gestion de patrimoine, en gestion d’entreprises ne font pas leur boulot que des gens laissent l’entreprise mourir. Il y a là, un énorme marché. Il y a beaucoup de choses qui sont possibles, mais les gens sont ignorants de cette réalité. J’invite les sponsors à s’y intéresser. Au-delà de juste vouloir accompagner l’évènement, il y a des opportunités en or, surtout par ces temps-ci où il faut faire preuve de créativité pour s’en sortir. C’est une opportunité économique énorme que je les invite à considérer.
Réalisation : Sylvestre TCHOMAKOU