L’intelligence artificielle (IA) s’impose progressivement comme un levier stratégique pour anticiper les crises, renforcer la supervision bancaire et sécuriser les flux financiers. Réunis le 21 mai à Dakar, régulateurs et experts ont posé les bases d’une intégration maîtrisée de cette technologie au service de la stabilité.
Aké MIDA
A l’heure où les flux financiers numériques explosent, où les cryptoactifs prennent de l’ampleur et où les innovations s’accélèrent, les banques centrales doivent relever un défi de taille : préserver la stabilité financière tout en adaptant leurs outils à un environnement mouvant. L’IA, avec ses capacités d’analyse avancée, s’impose comme un levier de modernisation et de vigilance renforcée pour les autorités monétaires. C’est l’un des principaux enseignements de la conférence internationale organisée par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), qui a réuni, le 21 mai à Dakar, de nombreux experts et régulateurs.
Encore émergente au sein des banques centrales, l’IA reste souvent cantonnée à des phases d’expérimentation. Jean-Claude Kassi Brou, gouverneur de la Bceao, a souligné la nécessité d’en faire un outil structurant au sein d’une stratégie globale de transformation numérique. Cette stratégie doit reposer sur une gouvernance rigoureuse des données, le renforcement des compétences internes et l’adaptation des cadres réglementaires. « Le discernement humain doit rester au cœur des décisions », a-t-il insisté. Il a également rappelé la création, en juillet 2024, du Comité de réflexion sur l’intelligence artificielle (Cria) à la Bceao, chargé de formuler une feuille de route pour un déploiement maîtrisé de cette technologie, essentielle à la stabilité monétaire et financière de la sous-région.
Dynamique continentale en marche
Le gouverneur a également mis en avant la dynamique continentale autour de l’IA, rappelant la stratégie adoptée par l’Union africaine en 2024 pour faire de cette technologie un levier de développement durable. Il a évoqué le Sommet mondial sur l’IA en Afrique, tenu en avril 2025 à Kigali, qui a débouché sur la création du Conseil africain de l’intelligence artificielle. Cette vision s’appuie sur des initiatives déjà lancées dans plusieurs pays de l’Uemoa, notamment le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, a-t-il précisé.
Lors d’une table ronde de haut niveau réunissant plusieurs gouverneurs de banques centrales africaines, Yvon Sana Bangui, gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac), a appelé à une approche rigoureuse fondée sur un diagnostic institutionnel approfondi et un cadre de gouvernance solide. Il a proposé l’élaboration d’un Livre blanc recensant les bonnes pratiques et les risques liés à l’IA, tout en insistant sur la coopération régionale et internationale pour améliorer la résilience des systèmes financiers.
Pour sa part, Rogerio Lucas Zandamela, gouverneur de la Banque du Mozambique, a mis l’accent sur la nécessité d’objectifs clairs et d’une approche centrée sur l’humain. Il a recommandé la mise en place d’équipes dédiées, la compatibilité des outils avec les systèmes existants et la formation continue des agents pour faciliter l’intégration de l’IA.
La Banque centrale de Madagascar, par la voix de son gouverneur Aivo Handriatiana Andrianarivelo, a souligné le potentiel de l’IA pour optimiser la supervision bancaire, améliorer les prévisions économiques et intégrer les effets du changement climatique dans les politiques monétaires. Il a plaidé pour des stratégies institutionnelles cohérentes, fondées sur des partenariats techniques solides et une exécution rigoureuse.
Coopération en perspective

Dr Younoussa Imani, gouverneur de la Banque centrale des Comores, a proposé une approche pragmatique, identifiant des priorités telles que la modélisation macroéconomique, les prévisions d’inflation et les systèmes de paiement. Il a suggéré de créer un réseau de points focaux sur l’IA dans les banques centrales africaines afin de mutualiser les expertises et accélérer les avancées.
Henry F. Saamoi, gouverneur de la Banque centrale du Libéria, a salué la conférence de Dakar comme un tournant stratégique pour son institution. Il a annoncé que le Centre d’innovation digitale de la Banque du Libéria serait désormais chargé de piloter la réflexion sur l’IA, en mettant l’accent sur une structuration progressive et le développement des compétences internes. Il a insisté sur l’importance d’apprendre des institutions les plus avancées pour éviter les écueils.
Des rencontres bilatérales ont suivi à Dakar les 22 et 23 mai entre la Bceao, la Banque centrale des Comores et la Beac. Celle avec la BEAC s’inscrit dans le cadre du Plan Bceao–Beac 2025–2026 signé en janvier dernier, qui vise à renforcer le partenariat stratégique entre les deux institutions.
Tous les gouverneurs ont exprimé leur volonté d’intégrer l’IA de manière responsable, coordonnée et adaptée. Ils ont insisté sur la nécessité d’élaborer des feuilles de route claires, d’assurer une gouvernance rigoureuse et de renforcer la coopération pour répondre aux enjeux éthiques, réglementaires et opérationnels.