(Défis et enjeux de la gestion des productions de soja et de noix de cajou au Bénin dans un contexte de renforcement de la capacité de transformation domestique avec la Zone industrielle de Glo-Djigbé).
Conformément à son Plan National de Développement (PND), qui accorde une place de choix à la transformation agroalimentaire, le Bénin s’est résolument engagé sur la voie de l’industrialisation. Cette ambition s’est matérialisée par la création de la Zone industrielle à Glo-Djigbé (GDIZ), véritable levier de transformation structurelle de l’économie nationale.
A ce jour, la GDIZ dispose d’une capacité annuelle installée de transformation de 120.000 tonnes pour la noix de cajou, 260.000 tonnes pour soja et 40.000 tonnes de coton. À ces capacités récentes, s’ajoutent celles déjà existantes, estimées à 44.000 tonnes/an pour la noix de cajou et 100.000 tonnes/an pour le soja.
Eu égard à cette ambition affichée, le défi majeur réside désormais dans l’approvisionnement régulier et suffisant de ces unités de transformation, dans un contexte où, historiquement, l’essentiel de la production agricole était destinée à l’exportation à l’état brut.
Ce changement de paradigme suscite, à juste titre, un débat national intense sur la gestion des productions agricoles, notamment celles du soja et de la noix de cajou. Ce débat, aux multiples facettes, crée des lignes de fracture et alimente beaucoup de spéculations, en dépit de l’autonomie dont jouissent les interprofessions de ces deux filières dans la fixation du prix plancher, prix consensuellement fixé par les familles d’acteurs et tenant compte des comptes d’exploitation puis garantissant un niveau de marge bénéficiaire au producteur. Les différents textes de loi en République du Bénin prévoient en effet un dispositif à travers lequel le gouvernement confie la gestion des filières aux acteurs directs de chacune d’elles. Ce dispositif est donc porté par le regroupement des familles des producteurs et des transformateurs appelé interprofession et dotée d’un mécanisme de commercialisation dont les dispositions prévoient la fixation des prix entre ces deux familles. Aussi, deux visions s’opposent : d’un côté, ceux qui priorisent l’approvisionnement des unités de transformation locales ; de l’autre, ceux qui prônent la liberté des producteurs à vendre sur le marché régional, au nom de la libre concurrence et de la rentabilité.
Je voudrais, par obligation et par devoir, m’inviter dans ce débat pour deux raisons majeures. La première tient au fait que je suis l’actuel Directeur de Cabinet du Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche. Je me sens donc interpellé à ce titre car la polémique est intimement liée entre autres au secteur agricole. La seconde trouve sa source dans ma profonde conviction que les données probantes constituent les seuls éléments tangibles et incontournables dans le débat public et tiennent une place de choix dans la fabrique des politiques publiques. Par conséquent et sans prétention, la présente démarche qui s’inscrit dans une approche de déconstruction, toute modestie gardée, se veut donc strictement technique pour mieux éclairer l’opinion en questionnant des idées véhiculées jusqu’ici. Pour y parvenir, j’essaye d’adopter une posture cartésienne dépourvue de tout dogmatisme ou parti pris.
Entre 2015 et 2024, la production de noix de cajou est passée de 82.356 tonnes à 213.000 tonnes, soit une multiplication par 2,6. Sur la même période, la production de soja a presque quintuplé, atteignant 650.000 tonnes contre 140.000 tonnes en 2015. Cette croissance remarquable résulte à la fois de l’extension des superficies cultivées et de l’amélioration des rendements, le tout issu d’une série de réformes mises en œuvre suivant des modes opératoires pragmatiques.
En effet, de 342 kg/ha en 2016, le rendement de la noix de cajou est passé à 463 kg/ha, soit une augmentation de 35% tandis que les emblavures ont augmenté sur la même période de 61% en passant de 285.140 ha à 459.479 ha. Sans omettre l’effet structurant des interventions publiques datant d’avant 2016, je voudrais insister sur trois instruments d’action publique majeurs dont la conjonction a fait la différence. Il s’agit, du Projet d’Appui à la Compétitivité des Filières agricoles et à la Diversification des Exportations (PACOFIDE), du Programme National de Développement des Filières à Haute Valeur Ajoutée (PNDF-HVA) et le Fonds National de Développement Agricole (FNDA). Pour rappel, de 2020 à 2024, le FNDA, dans sa version réformée après 2016, a facilité l’accès au crédit pour les acteurs de la filière anacarde à hauteur de près d’un milliard de F CFA, une première dans l’histoire du secteur agricole pour une institution dont la création remonte à 2014. Grâce au PNDF-HVA, innovation née de la réforme de territorialisation du développement agricole entamée depuis 2017, les filières anacarde, ananas et maraichage ont été dotées de ressources d’investissement pour un montant d’un peu plus de 10 milliards de F CFA sur la période 2019-2024. Quant au PACOFIDE, la plus grosse opération du portefeuille de l’histoire du secteur agricole avec un coût d’environ 188 milliards de F CFA sur la période 2019-2028, il cible les filières ananas et anacarde. Au total, 16,2 milliards de F CFA ont été injectés dans la filière anacarde de 2021 à 2024 dans le cadre dudit projet et ont porté sur des actions clés telles que l’accès aux plants d’anacardier, la mise aux normes des anciennes plantations peu productives, l’accès aux intrants et à la réalisation d’infrastructures de production. Au lieu de 600 F CFA, le plant d’anacardier greffé est cédé à 100 F CFA aux producteurs, soit une subvention de 83%. Ce qui a permis d’installer environ 18.000 ha de nouvelles plantations correspondant à 2 millions de plants greffés d’anacardier. Cent vingt-deux mille cinq-cents quarante-sept (122.547) ha d’anciennes plantations ont été mises aux normes grâce à des brigades d’entretiens formalisées, formées, recyclées et entièrement payées sur le PACOFIDE à raison de 55.000 F CFA par ha , ce qui a permis d’améliorer la productivité des vergers d’anacardier comme signalé supra. À ce qui précède, il faut ajouter les appuis en intrants pour l’anacarde entièrement subventionnés tels que les bio fertilisants, les hydro-rétenteurs d’eau. Je ne voudrais pas omettre les interventions antérieures sur la filière de même que celles héritées et amplifiées par le régime actuel. Je cite en exemple le Projet d’Appui à la Diversification Agricole (PADA) dont l’entrée en vigueur remonte à 2012 et qui s’est achevé en 2021 par suite d’un financement additionnel. On pourrait également citer certains projets de la coopération bilatérale tels que le Programme Agriculture de la GIZ (ProAgri). À l’instar de la filière anacarde, celle du soja a aussi bénéficié d’un PNDF sans oublier le soutien de plusieurs projets et programmes publics avec les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays. Au demeurant, 86 milliards de F CFA ont été alloués à l’ensemble des PNDF depuis 2019 aux profits des filières végétales, animales et halieutiques de même qu’à l’irrigation et à la mécanisation. Grâce au programme national de mécanisation agricole conduit par la Société Nationale de Mécanisation Agricole (SoNaMA), plus de 5.000 kits (tracteur et équipements) subventionnés à hauteur de 35 à 50% ont été mis en place sans oublier la réparation des anciens tracteurs à qui une 2ème vie a été ainsi donnée.
En clair, les gouvernements successifs du Bénin ont investi dans les filières anacarde et soja. Mais le Gouvernement du Président Patrice TALON, dans la continuité et avec une intensité accrue, a amplifié ces efforts à travers une diversité d’instruments d’intervention, dont les Plans nationaux de développement filière (PNDF). Ces plans constituent aujourd’hui un véritable contrat social entre l’Etat et les acteurs des Pôles de développement agricole. Autrement dit, chaque kilogramme de noix de cajou ou de soja et bien au-delà de ces deux filières querellées produit au Bénin porte en lui une part d’investissement public, qu’il s’agisse de ressources propres ou de financements extérieurs. Tout cela fait désormais partie du service de la dette héritée des gouvernements antérieurs, lequel continue d’être remboursé. A cela, s’ajoutent les dettes contractées par le régime actuel et qui se remboursent déjà et devront continuer de l’être conformément aux clauses des accords de financement. Il résulte de ce qui précède que, continuer d’affirmer que le gouvernement ne fait rien pour les filières est non seulement une assertion inexacte, mais relève d’une vision qui oblitère la perspective historique. Cela revient donc à dévaloriser non seulement les efforts du gouvernement actuel, mais aussi ceux des gouvernements passés dont l’héritage en termes d’actions positives et de dettes continuent de structurer le Document de Programmation Pluriannuelle des Dépenses (DPPD) et les lois des finances. Autant la politique publique doit reposer sur des données probantes, autant la critique nécessaire et indispensable de l’action publique doit s’appuyer sur des évidences. Persister dans le déni des investissements publics au profit des filières agricoles revient à poser un piège à un endroit sans élément de repérage, on finit par s’y faire prendre soi-même.
Mais au-delà des données probantes, les discours en confrontation autour de la gestion des productions de soja et de noix d’anacarde s’apparentent à un duel à distance entre l’économie des matières premières et celle basée sur la transformation des produits agricoles. Contrairement à l’économie des matières premières qui, ici ou ailleurs, a montré ses limites à créer la croissance et le développement, on crédite la transformation des produits agricoles de valeur ajoutée, de création d’emplois et de transformation globale de l’économie. Sans chercher à prendre forcément position, je voudrais faire observer que chaque kilogramme de noix de cajou ou de soja brut exporté porte en lui les subventions sur les tracteurs, les bonifications de crédits et garanties du FNDA, les subventions sur les plants d’anacardier, les prestations des brigades d’entretien des plantations de noix de cajou, les subventions sur les engrais, etc… Par conséquent, persister dans le discours incitant à exporter les produits agricoles bruts reviendrait à compromettre la stratégie de croissance et de développement. Ce qui va inexorablement réduire les marges de manœuvres de l’Etat à honorer le service de la dette et à reconstituer les ressources qui ont servi à subventionner les actions en faveur des producteurs. C’est comme le serpent qui se mord lui-même. C’est donc la pérennité de la capacité d’action publique de l’Etat dans la durée qui est en jeu. Mais au-delà, c’est l’esprit civique et l’esprit de citoyenneté qui pourraient en être affectés avec tous leurs corollaires. D’où l’impérieuse nécessité de prudence et de recul pour trouver des solutions idoines qui préservent les intérêts individuels et la capacité d’intervention de l’Etat en appui aux acteurs des chaines de valeur agricole.
Dossa AGUEMON
Directeur de Cabinet du Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche
Cotonou, le 04 juin 2025